Page:Girard - Études sur la poésie grecque, 1884.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
158
ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

essayaient vainement de se nier l’une l’autre. La perte des deux personnages opposés est nécessaire, car ils sont tout d’une pièce, pénétrés d’une seule idée, ils ne vivent que par leur passion, et, comme le caractère exclusif de cette passion est le principe du conflit qui constitue le drame, il n’y a pas de dénouement possible sans qu’ils disparaissent et soient brisés avez elle. Antigone, au nom des droits de la famille, niait les droits de l’État et ensevelissait son frère Polynice, malgré la défense du chef de la cité ; Créon, au nom des droits de l’État, annulait ceux de la famille, en outrageant obstinément les restes d’un mort et en punissant un acte de piété fraternelle : tous deux sont victimes de leur aveuglement. Ils sont brisés dans la lutte, et ces deux grandes puissances, l’État et la famille, loin d’être détruites ni affaiblies, apparaissent en définitive fortifiées et conciliées par la ruine de ceux qui, représentant chacune d’elles au mépris de l’autre, les mettaient en opposition et méconnaissaient la moitié de leurs devoirs. Voilà ce qui fait la beauté supérieure du dénouement :

« Le mode (de dénouement) le plus parfait peut se réaliser, lorsque les personnages opposés se rencontrent sur un terrain où chacun se trouve au pouvoir de son adversaire et par là viole ce que sa situation lui commandait de respecter. Ainsi, par exemple, Antigone vit sous la puissance de