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L’ANTIGONE DE SOPHOCLE

nature propre de l’homme et celle de la femme[1]. »

Tout lecteur français que n’aura pas rebuté ce germanisme philosophique reconnaîtra qu’il ne manque ni de hardiesse ni de profondeur ; mais aucun sans doute n’y cherchera Sophocle. C’est Hegel, avec la nature propre et les formes de sa pensée, qui s’est substitué au poète athénien. Voyons aussi pourquoi il l’admire si vivement au point de vue dramatique : c’est à cause de l’excellence d’une construction qui fait que l’Antigone se dénoue de façon à satisfaire complètement l’esprit. En effet, ce qui cause cette satisfaction de l’esprit, but final de la tragédie bien plus que l’impression produite par l’infortune et la souffrance, c’est l’accord succédant à la lutte des puissances de l’action. Or dans l’Antigone ces puissances de l’action — l’État et la famille, la vie sociale et les droits de la nature, représentés par Créon et par la jeune fille — sont engagées d’abord dans un admirable conflit qui met en face l’une de l’autre deux passions exclusives, et, les deux personnages s’identifiant avec ces passions exclusives, elles se confondent avec l’action. Il en résulte que le conflit cesse par la perte inévitable des deux adversaires, et c’est ainsi que l’harmonie se rétablit entre les puissances morales de l’action, qui dans la lutte

  1. Fondements de la philosophie du droit, § 166.