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Page:Girard - Études sur la poésie grecque, 1884.djvu/196

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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

dans un sentiment de vérité, et qu’on détruit en substituant à cette complexité vivante la raideur logique d’une simplicité abstraite.

De même aussi Antigone, malgré la noblesse idéale de son caractère, est vivante et réelle. Comme on distingue chez Créon quelques qualités, on reconnaît en elle quelques signes de l’imperfection humaine. Seulement il ne faut pas changer, au mépris de toute vérité, la proportion du bien et du mal. Il ne faut pas, si quelque âpreté se mêle à l’expression de sa douleur et de sa fierté, si l’irritation que lui cause le premier sentiment de l’outrage se trahit par quelque dure parole pour sa sœur, trop indifférente ou trop timide au gré de sa passion, il ne faut pas en abuser pour la faire criminelle malgré le poète. Ce sont d’admirables traits de nature qui rendent son rôle vraisemblable. Qui moins que Boeckh pouvait ignorer que Sophocle excelle par la vérité morale, c’est-à-dire, pour la tragédie, le talent de faire vivre les personnages dans les situations extraordinaires où elle se meut ? Produire l’illusion de la vie réelle au milieu de l’étrange et du sublime, c’est sans doute le plus haut degré de l’art dramatique. Il faut pour cela, avec la force de l’imagination et la hauteur de l’âme, une science de combinaison qui prépare l’effet à l’insu du spectateur et lui procure ainsi la jouissance facile et