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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

de la pensée première, s’était développé dans un sens romanesque. La passion partagée d’Acis, la jalousie et la vengeance de Polyphême formaient un thème de légende amoureuse, tout à fait dans le goût de l’élégie depuis Antimaque. Et d’ailleurs la légende d’Acis était celle d’un fleuve sicilien. Les sources du récit d’Ovide peuvent donc remonter au moins jusqu’au temps de Théocrite. Mais, que celui-ci connût ou non cette légende, il ne la fit pas entrer dans ses poèmes. De même, il laissa de côté ou fit à peine entrevoir dans le lointain, par un seul trait, la cécité du Cyclope, prédite, selon la tradition homérique, par Télémos. Son sujet, c’est uniquement la peinture de l’amour de Polyphême pour Galatée, et la teinte dominante dont il la revêt n’a rien de commun avec ces tragiques aventures.

Son Cyclope, en effet, — et c’est sans doute une idée qui lui appartient, — est jeune et paré d’une certaine grâce pastorale. Il n’a pas seulement la confiante naïveté de la jeunesse, il en a l’éclat. On lui a dit qu’il n’était pas sans beauté, et il le croit ; car, un jour que la mer était calme et unie, il y a miré son image ; et sa barbe et ses dents, blanches comme le marbre de Paros, même son unique prunelle, lui ont fait tant de plaisir à voir, que, pour prévenir la fascination, il a, suivant le conseil de la vieille Cottytaris, craché trois fois dans sa poitrine.