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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE

Ainsi, non-seulement le caractère monstrueux de la conception primitive, mais la rudesse même de cette figure se sont adoucis, pour entrer dans l’harmonie générale du tableau que le poète a voulu tracer. Les artistes grecs ont fait souvent de même, peut-être à l’imitation de Théocrite. La peinture de la maison de Livie, dont on peut voir une copie à l’École des beaux-arts, nous montre un jeune géant dont les traits n’ont rien de repoussant et ne forment pas un violent contraste avec la grâce des nymphes qui se jouent dans la mer, ni avec l’aspect du paysage, clair et doux, malgré les formes abruptes des rivages et des rochers.

Le peintre, s’adressant directement aux yeux, ne pouvait, comme le poète, laisser à Polyphême dans toute la réalité son trait caractéristique, celui qui est la définition des Cyclopes : il lui donne deux yeux, pareils à ceux des figures humaines, et l’œil unique est seulement indiqué au-dessus, tout près des cheveux, qui tombent sur le front. Sous la gracieuse influence de l’amour, Polyphême a perdu son aspect sauvage, il garde seulement de la lourdeur et de la gaucherie. Théocrite, au contraire, qui ne parle qu’à l’imagination, peut insister sur le trait essentiel, l’œil unique. C’est ce qu’il fait, avec un juste sentiment de l’art : autrement, son Cyclope n’aurait été qu’un berger amoureux. Il en a tout le langage. Aux manèges de sa maîtresse il