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Page:Girard - Études sur la poésie grecque, 1884.djvu/328

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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

remonter jusqu’à la source homérique. Ce fut un grand scandale, et une pareille témérité reçut aussitôt sa punition. Un tel concert de critiques assaillit Apollonius, que le séjour de sa ville natale lui devint insupportable. Il prit le parti de se réfugier à Rhodes, qui fut pour lui une seconde patrie et le garda pendant presque toute sa carrière.

Un fait de cette nature nous prouve la violence des passions qui animaient ce monde factice des lettrés d’Alexandrie. L’activité y était immense, l’ardeur infinie, la vanité implacable : on sait que, dans les lettres et dans les arts, elle est souvent en raison inverse de l’originalité. La passion, qui ne se porte pas sur l’effort de la composition, qui ne se confond pas avec les œuvres et ne prend pas par là un caractère plus impersonnel et plus pur, s’attache d’autant plus aux prétentions de l’écrivain ou du critique. Doit-on se figurer la lecture d’Apollonius comme une scène tumultueuse ? Ou bien, dans la dignité d’une fête royale ou d’une séance académique du Musée, le jeune poète fut-il accueilli par le silence improbateur de ses juges ? Nous l’ignorons. Ce qui paraît certain, c’est que sa tentative fut le signal d’un redoublement de cabales et d’un déchaînement de haines, surtout entre lui et Callimaque, l’auteur principal de sa disgrâce. Et, malgré la distance qui séparait les deux adversaires, la guerre se continua long-