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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

sent ingénieusement les traits de la légende de Médée aux proportions de l’élégie amoureuse ; par exemple, cette expression de la jalousie naissante : « Souviens-toi de moi, quand tu seras retourné dans ta patrie, dit-elle à Jason comme à Ulysse Nausicaa… (Si tu m’oubliais) puisse me venir de loin quelque bruit, ou quelque oiseau porteur de cette nouvelle, ou puissé-je moi-même, enlevée par les vents rapides au-dessus de la mer jusqu’à Iolcos, te porter mes reproches et te rappeler en face que je t’ai sauvé ! Puissé-je apparaître tout à coup à ton foyer dans ta maison ! » Un oiseau messager, des rêves, de gracieux fantômes que se forge une imagination de jeune fille : est-ce bien de Médée qu’il s’agit et de cette formidable passion qui inventera les plus monstrueuses vengeances ? S’il y a là quelque atteinte de l’afféterie alexandrine, du moins le poète est-il dans le caractère de son sujet, tel qu’il la conçu ; mais cette conception lui imposait-elle une analyse physiologique de la douleur particulière que produisent les tourments de l’amour par leur continuité ? Il paraît que, d’après les observations des alexandrins, le point sensible est dans les muscles de la nuque. Cette recherche curieuse du détail réel s’alliant à la rêverie romanesque est une marque du temps que ne relèveront pas sans intérêt ceux qui seraient tentés d’établir quelque comparaison entre les alexandrins et nous-mêmes.