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L’ALEXANDRINISME

n’est pas assez profond. Cela vient surtout de ce que, dans cette lutte impuissante qu’elle soutient contre la passion, il n’y a guère chez elle d’autre élément moral que le sentiment de la pudeur. Ce sont les révoltes instinctives de la pudeur qui produisent ses hésitations répétées, qui inspirent ses monologues et déterminent ses pantomimes expressives, qui irritent ses souffrances jusqu’au désir du suicide. Sans doute, il n’y a rien là que de logique, puisque ce sont les sens qui, chez elle, sont subjugués par la violence de la divinité. Qu’est-ce d’ailleurs pour Médée que la famille et la patrie ? Son père, le terrible Éétès, n’a guère plus de consistance que le peuple soumis à son sceptre, les barbares habitants de la fabuleuse Colchide. Elle peut avoir, il est vrai, le souci de son honneur, et elle l’a ; mais c’est précisément pour détruire la dernière ressource de sa vertu chancelante, pour lui faire rejeter la pensée d’une mort volontaire : elle se représente l’inutilité de cette mort pour sa réputation. Se souvenant sans doute des jolis vers où Nausicaa dit à Ulysse les malins propos auxquels il l’exposerait s’il l’accompagnait dans les rues de la ville, elle voit les femmes accourir de tous côtés à la nouvelle de son suicide et échanger leurs réflexions insultantes sur cet égarement qui l’a entraînée à se tuer pour un étranger en déshonorant sa famille. Ce petit tableau de genre, qui trans-