Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
– 113 –

Les voici à bord de leurs barques, dont ils hissent les voiles.

Ils mettent la barre sur le phare.

Le parchenier, compagnon de pêche d’Abel, était retenu à la maison par la maladie.

Resté seul sur le banc, le frère de Jacques réussit, après des efforts surhumains, à mettre son flat à la mer.

Tantôt il apparaît sur la crête blanche des vagues en démence, tantôt il disparaît dans des gouffres béants…

C’est à ce moment que les femmes, la messe finie, arrivent sur la grève, haletantes et anxieuses.

Elles voient Abel tendre la voilure en luttant contre le vent qui s’y engouffre.

La barque s’élance avec une rapidité qui fait peur…

Elle court sur la cime des flots.

On dirait un fantôme qui fuit dans le brouillard…

Deux cents poitrines, soudain, laissent échapper un cri d’horreur…

Les mâtereaux se sont cassés sous la violence de la tempête, les voiles se sont déchirées, et la vague puissante a fait chavirer la coque démâtée.

Abel, les cheveux au vent, les traits transfigurés par une pensée supérieure à celle de la mort, lève les deux bras au ciel, et disparaît dans l’abîme et l’éternité…

Il avait vu passer, sans doute, devant ses yeux, deux femmes plus chères que la vie : l’une à qui il avait sacrifié l’autre, l’épouse espérée à la mère défunte.

Le lendemain soir, à basse mer, à l’heure où les dernières notes de l’angélus s’égrenaient dans le beau ciel