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à son ami, forcé de lever le nez, ce qui le fatiguait. Timide à l’excès, le son même de sa voix flûtée paraissait lui faire peur, et il n’avait pas plutôt prononcé quelques paroles qu’il se taisait comme s’il eût voulu rattraper celles qu’il avait laissées s’échapper par mégarde. Avec cela qu’il était d’une bonté que ses amis appelaient de la bonasserie. La vue d’un chat ou d’un chien qui se font écraser une patte lui mouillait les yeux. Peut-être ceci dépendait-il de sa timidité, Noé Brunel était d’une susceptibilité désespérante.

Comment deux hommes, dont l’un était aussi entêté que Narcisse Bigué, et l’autre aussi susceptible que Noé Brunel, eussent pu si bien s’entendre à jouer aux dames tous les soirs pendant plus de vingt ans, voilà ce qu’on ne pouvait s’expliquer. Aussi certaines mauvaises langues du village, qui se donnent pour mission de toujours vouloir prophétiser en mal, disaient-elles : « Ça ne peut pas durer : faudra que ça casse un jour ou l’autre. »

***

Ce soir-là donc, Bigué était de mauvaise humeur. Dans l’après-midi il y avait eu une assemblée de marguilliers qui s’étaient divisés en deux factions, l’une optant pour faire repeinturer le toit de l’église ; l’autre, au contraire, déclarant catégoriquement qu’il fallait attendre à une autre année avant d’entreprendre