Aller au contenu

Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
– 120 –

cette dépense. Bigué, qui appartenait au parti de l’économie, trouvait que les rénovateurs l’avaient traité un peu cavalièrement. De là son mécontentement. Pour comble de malheur, son compère, l’infortuné Brunel, avait eu la maladresse de passer sous le drapeau des rénovateurs, pour la bonne raison que son fils Philippe, qui était peintre en bâtiments et bien vu des marguilliers, espérait avoir cette entreprise. On avait demandé le vote, et le parti de Bigué avait été défait par une voix ; la voix de Brunel, se dit en lui-même le président. Trop fier pour lui en faire des reproches, il ne dit mot, mais ce soir-là, quand ils se furent assis sur la vérandah pour leur partie de dames, Bigué fit remarquer à son ami qu’il était bien lent à jouer. Les choses allaient de mal en pis. Bigué venait d’être victime d’une lunette. Il fronça ses épais sourcils, serra les poings et grommela :

— Joue donc, Brunel, ç’a pas d’bon sens jouer avec toé, y a pu d’imitte. À la fin des fins on perd patience et on fait des bêtises.

Alors Brunel leva timidement les yeux et de sa petite voix flûtée observa :

— Ah ben ! tu trouves que je joue lentement. Y me semble que tu prends ben assez ton temps. T’es plus lent qu’une tortue.

— C’est bon, c’est bon, joue ou je lâche tout là.

— Bougre ! donne-moé le temps de souffler. Tiens, mange !