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Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/121

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Le marguillier enleva la dame avec hésitation, comme un homme qui craint de mettre le pied dans un piège.

— C’est pas tout, continua Brunel à mi-voix, comme effrayé lui-même de ce qui allait arriver. Mange encore. Tiens, une, deusse, trois, quatre.

— Perds-tu la boule, Brunel, de me donner à manger pour rien ?

— Mange encore, reprit le petit vieux en baissant le nez sur le damier.

Bigué mangea.

— Et à c’t’heure dans la pinoso ! dit tout bas Brunel en relevant timidement la tête.

— Tornon ! hurla le colosse donnant sur le damier un violant coup de poing qui confondit toutes les lignes d’attaque et de défense.

— Eh ben dame ! pourquoi te fâcher ? objecta Brunel de sa voix grêle et sans lever les yeux, est-ce que tu m’y as pas déjà fourré toé itout dans l’pinoso ?

Bigué, debout, le front plissé, les sourcils arqués, la face rouge, gesticulant, tonna :

— J’te dis, Brunel, qu’y a queque chose d’pas correct dans c’t’affaire-là. Penses-tu qu’on met un vieux joueur comme moé dans l’pinoso ? Un peu plus j’te dirais qu’t’as triché.

Ce dernier se leva en proie à une émotion qu’il ne chercha pas à dissimuler.