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mirer ce beau garçon, vêtu d’un complet de serge noire avec un chapeau mou gris perle. Elles trouvaient que le fils à monsieur Brunel ferait un parti fort sortable, d’autant que son métier payait bien et qu’il aurait une certaine part du bien paternel. Malheureusement pour elles, on disait tout bas qu’il était le promis de Louise Bigué.

Philippe était de deux ans plus âgé que Louise. Depuis quand s’aimaient-ils ? Ils ne le savaient pas trop eux-mêmes. Peut-être s’étaient-ils toujours aimés : depuis ces jours où ils foulaient les mêmes meules de foin de leurs pieds d’enfants ; où ils cassaient ensemble les branches ployant sous le poids des prunes, des pommes et des cerises ; où ils s’asseyaient sur le même banc à l’école du village. Mais cet amour, qui avait germé en eux comme une belle fleur dont on n’aperçoit pas encore le fruit savoureux s’était révélé l’an dernier à Noël. Ce jour-là, ou plutôt cette nuit-là, Philippe, pendant le réveillon, avait suivi Louise jusque dans la grande cuisine. Là, profitant d’un moment où ils étaient seuls, il lui avait escamoté un baiser sur la nuque duvetée. Allant d’audace en audace il avait continué :

— Dis donc, Louise, y paraît que monsieur le curé aime pas les amours qui traînent trop longtemps. Si ça te fait pas de différence, ça sera pour les foins, après qu’on aura engrangé la dernière veillotte ? »

Et Louise avait promis.

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