Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/210

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 210 —

Roland. — En chacun de nous Dieu a placé une destinée, qui se développe tantôt comme les clochettes blanches de la jacinthe, tantôt comme le lichen sur le rocher nu et désert.

À personne, personne au monde, je ne reconnais le droit de me dire : « Voici ta route, marche ! » Un seul être, l’Être suprême devant qui j’incline respectueusement ma volonté, a le droit de me commander : « Tu iras jusqu’ici et pas plus loin ! »

Si mon voisin se croit né pour être jardinier, boucher épicier, mécanicien, journaliste, ou prêtre, son père ira-t-il, lui mettant entre les mains un code de loi, lui ordonner : « Mon fils, je veux que tu sois médecin, obéis. » Et si, moi, je me crois des aptitudes pour les arts ou la littérature et que la médecine me pue au nez, mon père pourra-t-il m’imposer une vocation que j’exècre. Encore une fois, je te le répète : Non ! non ! non !

Paul. — Mais voyons ! tu t’emballes !

Roland. — Il est mort et enterré, Dieu merci, le siècle des lettres de cachet. Nous vivons dans un pays de liberté, et je veux comme le premier venu avoir ma part du gâteau. C’est pour ça que…

Paul. — Calme-toi, je t’en prie. Donne-moi une allumette.

Roland (donnant l’allumette). — Voici. (Paul allume sa pipe, Roland la sienne.)