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Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/209

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Paul (tendant sa blague à Roland). — Voici. Il n’est peut-être pas aussi bon que le tien mais il y en a pour deux. (Avec surprise.) Tiens ! tu fumes avec une pipe de plâtre. Qu’as-tu fait de la jolie pipe que t’a donnée ta sœur au jour de l’an ?

Roland. — Ce que j’ai fait là n’est pas bien, je l’avoue, mais je l’ai portée, hier, chez Abraham Coquinovitch. Car enfin, avant de fumer avec des pipes d’aristocrates, il faut songer à se mettre quelque chose sous la dent. Ah ! mon ami, c’est la misère, la misère noire qui me tend les bras, mais si elle croit, la gueuse, que je m’en vais m’y jeter tout de suite, comme ça, sans résistance…

Paul. — Pauvre garçon, je te plains !

Roland. — Tu me plains, je t’en remercie. Mais ce que tu devrais déplorer, plutôt, c’est l’erreur qui m’a conduit jusqu’ici. Mon père est un exemple frappant de ce contre-sens des pères qui disent à leurs fils : « Votre vie m’appartient, voici comment j’ai décidé d’en disposer. C’est mon bon plaisir que vous choisissiez telle ou telle carrière ; vous serez ceci ou cela ». Comme si la vocation se plantait dans le cœur d’un enfant ou d’un jeune homme ainsi qu’un coin dans une bûche pour la faire écarteler à coups de hache. Allons donc ! c’est insensé !

Paul. — Ah ! que tu t’emportes !