Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 22 —

roucés, un nez colère, une bouche au rictus effroyable. Ce n’était plus un chapeau, c’était un homme ; ce n’était pas un homme, c’était un esprit d’outre-tombe qui revenait sur terre pour réclamer justice et pour allonger au-dessus de la tête du coupable un bras invisible, chargé de vengeances. Aussitôt Lucien étouffait un cri, et, pâle, baigné de sueur, il frottait avec épouvante ses yeux hagards, et… ne revoyait plus que le castor de mon oncle Césaire.

Après tout, pensait-il, quel mal y avait-il à ne pas rendre ce vieux chapeau qui avait certainement au-delà de trois-quarts de siècle d’existence. Le sentiment qui le poussait à le garder pour lui était un sentiment noble. Monsieur le Curé ne saurait que l’approuver. M. Lahaye était son meilleur ami ; lui-même était parent de feu Monsieur Chénier par sa grand’mère. Ce chapeau lui appartenait donc. S’il fallait obéir aux désirs de tous les mourants, on en ferait de belles parfois. Qu’est-ce que le défunt ferait de ce chapeau à six pieds sous terre ? C’était une lubie du pauvre vieux, lubie dont il ne fallait pas s’occuper. Nom d’un petit bonhomme ! c’était idiot : aller donner en pâture aux vers un castor historique, un castor qui avait appartenu au grand Chénier. Et puis ce n’était ni ci ni ça, ce satané chapeau avait le diable dans le corps pour ainsi dire, un charme inexplicable qui l’attirait à lui, l’empoignait, ne le lâchait plus. Il était ensorcelé à la fin !

Le maréchal ne ferma pas l’œil de la nuit. À l’aube, il avait décidé de faire ensevelir mon oncle Césaire sans