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exécuteur testamentaire. Je te cède la moitié de mes biens, l’autre moitié à Monsieur le Curé. Seulement, mon cher Lucien, n’oublie pas le castor, tu sais le castor du grand Chénier. Tiens, mets-le là, devant moi, que je le voie encore une fois avant de rendre le dernier soupir. Bien, c’est cela ! Quand je ne serai plus, tu le coucheras avec moi dans ma tombe. Je veux reposer avec. C’est la seule faveur que je te demande. Tu sais, la prière, d’un mourant, c’est sacré. Au revoir, mon cher Lucien, dans le ciel, comme on dit. Mon cher castor !!!…

***

L’exécuteur testamentaire passa une nuit terrible. Ce fut pis que la tempête sous le crâne de Jean Valjean. Garderait-il le chapeau, le rendrait-il à la terre ? La douleur d’avoir perdu son autre soi-même, la reconnaissance et la joie de la petite fortune si inattendue, se confondaient, s’emmêlaient, s’effaçaient devant un autre sentiment, un épouvantable, celui-là : la convoitise.

Il était là devant lui l’objet de sa cupidité, là, grand, très grand, énorme sur la petite table au pied de la couchette en sapin, éclairé des reflets douteux d’une lampe fumeuse. Le vent, parfois, se faufilant par la croisée mal fermée, faisait trembloter la flamme. Alors le castor prenait des formes fantasmagoriques. Le malheureux forgeron y découvrait des yeux tristes et cour-