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(Il se regarde dans le miroir cassé par la moitié). Ces miroirs cassés nous renvoient toujours un visage à deux faces. Ce n’est pourtant pas mon genre.

(Il ouvre sa malle, prend son pot à barbe, son blaireau et son rasoir). Naturellement, je n’ai pas besoin de demander si l’on a de l’eau chaude ici. (Il va pour verser de l’eau dans le pot à barbe). L’eau ne vient pas. (Il regarde dans le pot à eau.) Oh ! oh ! une patinoire sur laquelle mesdemoiselles les punaises prennent joyeusement leurs ébats. (Il casse la couche de glace avec un tibia qu’il sort de la malle). Jamais je ne dormirai dans cette glacière, car, pour sûr, je ne me réveillerais que dans l’autre monde.

(Il fait mine d’enlever sa pelisse mais se ravise.) Non, il fait trop froid. (Il met une serviette autour de son cou, puis se savonne la figure.) (Frissonnant) Ouf !

(Se rasant.) Que vais-je devenir maintenant ? Il y a plus de huit jours que je suis à rien faire, cette situation ne peut durer… Et si j’en juge par la causerie amicale et pacifique que je viens d’avoir avec mon père, il a l’air bien résolu à me tenir tête et moi aussi. Je ne trouve pas d’autre solution que de battre le pavé et de me trouver une occupation quelconque. Un emploi, c’est bel et bon, mais mon éducation et mon instruction s’objectent à mon nouveau modus vivendi. Quel sera mon salaire ? Trois dollars, cinq dollars par semaine. C’est mince et ça ne me sourit pas beaucoup.