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qui est située dans le golfe de Gascogne.

Aussitôt que le navire du comte de Frontenac eût mouillé l’ancre, M. de Courcelles, qui retournait en France, alla saluer à bord son successeur, pendant que la population, groupée sur le quai et sur le rivage, faisait retentir d’enthousiastes vivats.

M. de Courcelles, revient à terre, et, à la tête des habitants de la ville, reçoit les compliments du secrétaire du nouveau gouverneur et lieutenant général de la Nouvelle-France.

Ce dernier, enfin, met pied à terre avec ses gens.

Les acclamations, alors redoublent ; les cloches sonnent à toute volée, et les canons du fort et du navire, mêlant leurs joyeuses détonations, répercutent leurs échos sur le calme des eaux et dans la profondeur des bois.

Frontenac, précédé de quatre pages et de vingt-quatre gardes, portant les couleurs du roi, de six laquais, et suivi de ses officiers et soldats, se met en marche pour aller prendre possession du fort.

Chaque cavalier, chaque fantassin est entouré, applaudi. À ce spectacle, on dirait que la petite troupe de Frontenac apporte avec elle le salut et la gloire de la Nouvelle-France.

À la suite de l’escorte du gouverneur, gravissant le sentier étroit et escarpé qui reliait la basse à la haute ville, viennent des marchands, des ouvriers, des laboureurs, des domestiques, tous hommes nécessités par le progrès de la colonie.

Frontenac, après avoir pris possession du fort et du château, dont M. de Courcelles lui remet les clefs, continue à l’église pour remercier Dieu de son heureuse traversée. Puis il rend visite aux Jésuites et à l’Hôpital.

Frontenac était, sans contredit, la figure la plus remarquable des nouveaux arrivés.

Mais un personnage mêlé à la foule, et qui ne cherchait nullement à attirer l’attention, n’en excitait pas moins une sympathique curiosité.

Très grand, mince, nerveux, le port noble, la démarche fière, il dominait ses voisins de toute la tête.

Le visage imberbe était d’une beauté singulière et séduisante. Son teint bruni et ses traits mâles et amaigris trahissaient les courses, les fatigues et les souffrances, physiques et morales.

Les yeux brillaient d’un noir si pur qu’on ne pouvait distinguer la prunelle de l’iris.

Légèrement recourbé, le nez long avait l’arête large et régulière.

Comme pour un homme dont le lot n’a pas été heureux, et que la fortune a traité en paria les lèvres fines et bien dessinées formaient aux commissures de la bouche un pli amer. Dans le menton, on n’apercevait aucune ligne indécise : il était carré, énergique.

Toute la figure était encadrée de longs cheveux noirs qui, selon la mode du temps, retombaient en grosses boucles sur les épaules solides.

Cet homme paraissait avoir vingt-cinq ans.

Il était vêtu de la façon la plus originale du monde.

Son chapeau d’un gris sale, à larges bords déchiquetés par un long usage, était orné, si l’on peut appeler cela ornement, d’une plume d’autruche qui pendait lamentablement.

La chemise lacérée et trouée, que ne cachait pas un pouce de pourpoint, laissait voir la peau en maints endroits. Cette chemise était traversée en sautoir, par un baudrier de vieux drap d’or, auquel était suspendue une longue rapière, à la garde de fer forgé, dont la pointe brillait à l’extrémité du fourreau.

Les hauts-de-chausses de velours cramoisi disparaissaient dans de longues bottes évasées de cuir jaune bonnes tout au plus à cacher les jambes d’un gueux.

Ce jeune homme, militaire nomade, que son regard martial et sa rapière empêchaient seul de faire croire à un saltimbanque ambulant, s’appelait Giovanni.

Giovanni n’avait pas un liard. Il avait employé ses dernières pièces à l’achat de cette rapière et de ce baudrier, trouvés chez un marchand d’occasion avant son départ du vieux continent.

Il ne regrettait pas cette dépense folle, toute sa fortune, car avec une bonne épée et du courage, s’était-il