Page:Girard - L'Algonquine, 1910.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Savoir ! oh ! savoir ! se disait Giovanni avec désespoir.

Et quel que fût le motif qui eût enlevé la petite Indienne à son adoration, elle était perdue pour lui sans retour !…

S’il ne la retrouvait pas, il ne pouvait plus espérer de bonheur.

Maintenant qu’il la savait loin de lui, l’absence centuplait son amour.

Oh ! il la retrouverait, il le voulait, il le fallait, dût-il lui en coûter la vie !…

Mais où avait-elle dirigé ses pas ? Où avait-elle passé la nuit ?

Était-elle encore dans les murs de Québec ? Poussée par le désespoir ou quelque intérêt particulier, s’était-elle lancée, à l’aventure, dans les forêts des campagnes voisines, irrésistiblement attirée par les mœurs de son ancienne existence nomade ?

Plusieurs fois, il descendit et monta le sentier escarpé qui reliait la haute et la basse ville.

Toujours dans l’espérance d’y rencontrer la fugitive, il pénétra dans les maisons publiques, dans les couvents, à l’église, dans les auberges. Il s’enquit partout, auprès des citoyens étonnés, si on n’avait pas vu une jeune Indienne dont il donnait la description.

On lui répondait généralement que l’on connaissait Oroboa, la sœur adoptive de Mademoiselle de Castelnay, mais qu’on ne l’avait pas rencontrée depuis la veille.

Giovanni avait marché une partie de la journée. Il avait faim, il avait soif, il était harassé de fatigue.

Sans un sou en poche, il savait bien qu’il ne pourrait ni manger, ni trouver un gîte.

Mendier, non, il ne ferait pas cela.

Retourner chez Johanne, jamais !

Il ne se rendrait pas coupable d’une telle faiblesse.

Et puis, pouvait-il être question de manger, de boire ou de dormir tant qu’il n’aurait pas retrouvé l’Algonquine.

Ah ! pourquoi avoir traversé l’océan, pourquoi avoir franchi cette longue distance, si c’était pour courir après cette torture morale d’être si brutalement séparé d’une âme qui était l’essence même de sa vie, sa raison d’être.

Quelle est donc cette folie de l’homme qui le pousse à parcourir le monde pour y trouver le malheur qui vient le relancer si vite à son propre foyer ?

C’est que nous sommes nés pour la souffrance. Que nous nous lancions à la poursuite du malheur, ou que nous l’attendions, c’est un compagnon terrible et inévitable qui nous persécute jusqu’aux portes du tombeau.

Giovanni se laissa tomber sur le seuil en pierre brute d’une maison, se demandant, avec anxiété, si jamais il reverrait la délicieuse petite Algonquine qui lui avait pris son cœur.

Il était là, depuis quelques minutes, la tête dans les mains, quand il se sentit touché légèrement à l’épaule.

Levant les yeux, il aperçut une bonne grosse figure rubiconde, un joyeux officier, qui lui dit d’un ton rude et sympathique :

— Hé ! l’ami, vous m’avez tout l’air d’un homme qui a perdu un pain de sa fournée !

Giovanni ne répondit pas.

L’officier continua :

— Ne pourrais-je pas vous rendre service ?

— Ah ! monsieur, répliqua Giovanni, vous me demandez si vous pouvez me rendre service. Hélas ! j’ai bien peur que non.

Et après un silence :

— Dites-moi, n’avez-vous pas rencontré une Indienne plus belle que l’astre des nuits ?

— Des Indiennes, nous en rencontrons assez souvent, mais des belles, c’est assez rare, ajouta-t-il, avec un sourire.

— Son nom est Oroboa.

— Oroboa ! Oroboa ! attendez-donc un peu, mais je la connais, cette enfant-là. Vous avez raison, mon ami, elle n’est pas laide du tout.

Giovanni s’était levé tout d’une pièce, et saisissant le militaire par les épaules, il s’écria, les yeux brillants d’impatience :

— Vous la connaissez ?

— Eh ! oui. N’est-ce pas cette Indienne recueillie par M. le baron de Castelnay ? L’histoire de cette enfant a fait tout le tour de Québec.

— Oui, oui, précisément, c’est bien elle.

— Eh bien ! je l’ai vue, ce matin, avec un jeune Huron, marchant