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Page:Girard - L'Algonquine, 1910.djvu/45

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dans la direction de Sillery. Du pas qu’ils allaient, ils doivent être bien loin, maintenant, à moins qu’ils ne se soient arrêtés à Sillery.

J’en doute fort, cependant, car les Indiens sont souvent pris de nostalgie, et Oroboa qui vient du pays des Algonquins, pourrait bien se rendre directement parmi les siens dans les campagnes environnantes de Trois-Rivières.

D’un autre côté, il est excessivement dangereux pour deux Indiens de traverser seuls ces forêts épaisses, où ils peuvent à tout instant du jour et de la nuit, tomber dans une embuscade d’ennemis. Ils s’arrêteront donc, sans doute, sur leur chemin, pour se joindre à quelque parti d’Indiens amis.

En apprenant qu’Oroboa s’était enfuie avec un jeune Huron, Giovanni, pour la première fois de son existence, fut mordu au cœur par le serpent de la jalousie. Cette blessure le fit horriblement souffrir.

C’était donc pour rejoindre ce jeune Indien qu’Oroboa s’était enfuie de chez le baron de Castelnay. Elle aimait cet aborigène. Tous deux allaient s’unir dans leur pays.

— Cet Indien, demanda Giovanni, en relevant la tête, le connaissez-vous ?

— Non, répondit l’homme de guerre, sans hésiter. Bien que j’aie vécu quinze ans dans cette ville dont je connais à peu près tous les habitants, je n’ai jamais vu cette figure.

Les traits du jeune homme se contractèrent sous la violence d’une douleur nouvelle.

Il était certain, maintenant, qu’Oroboa lui avait caché la vérité, et que cet Indien ne pouvait être que l’amant de l’Algonquine.

Et alors lui qui avait cru aimer, s’aperçut à cet instant, qu’il n’avait pas connu l’amour, puisqu’il avait aimé sans jalousie.

Mais, c’est maintenant qu’il aimait avec toute la passion, la frénésie, l’affolement et l’incertitude de conquérir le cœur de celle qu’on se sent disputée.

— Peut-être, continua l’interlocuteur de Giovanni, aurez-vous une chance de rejoindre l’Algonquine.

— Parlez, de grâce, parlez, supplia le jeune homme.

— Il paraît que le comte d’Yville, officier du régiment de Carignan, doit se mettre en route aujourd’hui même avec une vingtaine d’hommes, chargé d’un message important de Son Excellence auprès du gouverneur des Trois-Rivières.

— Et par où passera cette petite troupe ? demanda Giovanni d’une voix fébrile.

— À cet endroit même. Tenez ! les voici qui viennent.

Le cœur battit fort dans la poitrine du jeune homme. Ces quinze Français et ces cinq Hurons qui s’avançaient au pas militaire, sous le commandement du comte d’Yville, étaient pour Giovanni tout son espoir, son avenir, sa vie.

Les valeureux soldats étaient salués sur leur passage par d’enthousiastes acclamations.

Et ils les méritaient ces vivats, ces héros qui partaient pour une expédition aussi difficile que dangereuse. Il leur fallait franchir quelque cent milles, exposés à chaque pas à donner dans un piège tendu par les Indiens ennemis.

En effet, bien que les Français eussent conclu la paix avec les Iroquois, cette paix était chancelante. On pouvait s’attendre à tout de la part de ces derniers, gens fourbes s’il en fut jamais.

Sous prétexte de poursuivre la guerre avec les Algonquins et les Hurons, leurs irréconciliables ennemis, les Iroquois attirés comme des loups par la soif du sang et l’enivrement des carnages, n’avaient pas cessé leurs incursions dans le pays.

Plusieurs fois, ces chasseurs d’hommes, qui se promenaient par bandes isolées, faillirent compromettre les bienfaits de la paix. Mais il n’en fut rien jusqu’à ce que l’épouvantable massacre de Lachine eût mis le comble à toutes les audaces et donné le signal de la reprise ouverte des hostilités.

Heureux les Français qui tomberaient dans la bataille ! Ils échapperaient ainsi aux tourments les plus atroces qui attendaient les prisonniers et les blessés.

Et cependant, ces champions de la patrie et de la foi partaient le sourire aux lèvres et l’auréole du soldat martyr au front.

La troupe allait passer outre, quand, soudain, Giovanni prenant