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POUR RÉGINE

que vous vous êtes imposés pour moi et pour mon éducation. Mais je suis sûr que vous ne voudriez pas faire le malheur de ma vie. Eh bien ! je n’aime pas la médecine, je serais malheureux, parce que ce sont les beaux-arts qui m’attirent et pas autre chose. Je me sens poussé par une force irrésistible qui me crie : « Marche ! » C’est là que t’attendent le succès, la gloire. Vous le dirai-je, mon père, je désire, je veux partir pour la France.

Car, que ferai-je ici, chez un peuple qui laisse crever de faim ses artistes, ses littérateurs. Que ferai-je chez un peuple qui est encore dans les langes des beaux-arts et qui n’aime rien de ce qui n’est pas de l’argent. Je ferais des chefs-d’œuvres, on ne me comprendrait pas. Mes statues seraient condamnées à dormir un éternel sommeil dans les coins de mon atelier. Je veux me faire sculpteur, je veux devenir célèbre, mon père, je veux que notre nom soit connu et glorifié de tous !

— Superbe ! répliqua le père, ironique, mais où trouveras-tu de l’argent ? On ne traverse pas l’Océan à pied sec comme les Israélites la Mer Rouge.

— Je suis jeune, je travaillerai. Un paquebot part dans quelques jours pour l’Europe. À bord, je m’engagerai pour faire n’importe quoi. Quand on a l’amour au cœur, l’énergie dans le caractère et confiance en soi, on arrive toujours à bon port.

— Et tu es complètement décidé ?

— Absolument. Il y a deux mois que j’y songe.