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Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/98

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Rédemption.

Comme il n’avait pas sommeil à cause de l’agitation de son esprit, il se déshabilla, passa une robe de chambre, et tout transi, but un verre de rhum. Puis il s’assit à sa fenêtre, et songeur regarda le reflet brisé de la lune sur la mer.

— Au moins, il faut que je la revoie encore une fois avant de partir, se dit-il.

Mais soudain, passant la main sur son front avec lassitude, comme pour en chasser des pensées mauvaises, il ajouta tout haut :

— Non, ce souvenir me fait vraiment trop de mal. Je ne dois pas me le rappeler. Sans hésiter une seconde, avec une hâte fébrile, comme s’il craignait de changer d’idée, il se lève et fait ses malles, enfouissant tout pêle-mêle.

Cela fait, s’asseyant à une petite table au pied de son lit, il réfléchit, la tête entre dans ses mains :

— Puisqu’il m’est défendu de la revoir, rien ne m’empêche de lui écrire. D’autant plus que je ne saurais partir aussi brutalement sans lui dire adieu. Alors sans rature, du premier jet, ouvrant tout grand son cœur lacéré, il écrivit :

Ma bien-aimée Romaine,

Pardonnez-moi, je vous prie, si je vous appelle ma bien-aimée. Mais que voulez-vous, je ne puis y résister : il faut que je vous crie mon amour. On pardonne beaucoup à ceux qui aiment beaucoup, et je vous ai beaucoup aimée, Romaine, je vous aime beaucoup, je vous aimerai toujours. De plus, comme je ne dois plus vous revoir — lorsque vous lirez ces lignes, j’aurai quitté ces lieux, les plus beaux du monde — je puis vous avouer des choses que je n’aurais su vous confier sans danger près de votre beauté irrésistible. C’est à cause de vous, de vous seule, que je pars. Hélas ! je suis même resté trop longtemps à Paspébiac, puisque pour ces trois semaines de bonheur incomparable que j’ai passées avec vous, je dois souffrir toute ma vie.