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m’a trompée ! Tant que l’erreur est venue de la duplicité des autres, j’ai pu supporter le désenchantement ; l’amour menteur de Roger n’a pas été une surprise amère pour moi ; ce triste mensonge, mon instinct l’avait deviné ; un pressentiment craintif m’éloignait de Roger ; je comprenais qu’il n’y avait pas harmonie entre nous ; j’entrevoyais la rupture avant l’alliance ; et, tout en croyant l’aimer, je me disais : Ce n’est pas là de l’amour. Mais cette fois l’erreur vient de moi-même et le désenchantement détruit cette confiance qui faisait ma force et mon courage. Dans une joie trompeuse, je me suis écriée : C’est lui ! Hélas ! il n’a pas répondu : C’est elle ! et il est parti !

Après un si beau rêve, quel affreux réveil. Valentine, brûlez vite cette lettre où je vous racontais mes espérances si naïves, mon bonheur si confiant. Brûlez vite cette triste lettre ! qu’il ne reste plus rien de ce fol amour !

Eh quoi ! cette émotion profonde qui bouleversait tout mon être, qui remplissait de larmes mes yeux, qui faisait battre mon cœur avec tant de violence ; cette fièvre de l’âme qui me faisait frissonner et trembler, pâlir et rougir à tous moments, qui se trahissait dans mes regards et que je reconnaissais dans ses regards, à lui ; cette joie brûlante que j’avais tant de peine à cacher ; cet avenir si doux que je voyais certain ; ce monde nouveau, enivrant de délices, que j’habitais déjà ; cet amour si pur qui me donnait la vie et que je sentais partagé ; cette émotion, cette joie, cet amour… tout cela n’était qu’une création de ma pensée… Et maintenant tout est détruit… me voilà seule, et je n’ai plus pour m’aider à vivre qu’un souvenir… le souvenir d’une illusion perdue… Dois-je me plaindre ? C’est la loi commune : après la fiction, la réalité ; après le météore, la nuit ; après le mirage, le désert !

Ainsi, j’aimais comme jamais un cœur jeune, plein de foi et de tendresse, n’a aimé, et cette passion était une erreur ; je ne le connaissais pas, il ne m’aimait pas, et je n’avais aucune raison de l’aimer ; il est parti, et il devait