Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partir ; je n’avais aucun droit de le retenir, je n’ai même pas le droit de souffrir de son absence. Qui est-il ? un ami de madame de Meilhan et de son fils, un étranger pour moi !… lui !… un étranger !… Non, non, il m’aime, je le sais… Mais pourquoi ne me l’a-t-il pas dit ? Quelqu’un s’est jeté entre nous, il y a une idée qui nous sépare, un soupçon, peut-être… Oh ! s’il me croyait la maîtresse d’Edgard ! j’en mourrais… Je veux lui écrire ; me le conseillez-vous ? Eh ! que lui écrirais-je ? S’il apprenait qui je suis, sans doute il perdrait ses préventions contre moi. Oh ! je veux retourner à Paris. Il comprendra bien alors que je n’aime pas Edgard, puisque je l’aurai quitté, puisque je ne le reverrai jamais. Cependant il n’a pu se tromper sur les sentiments qui existaient entre son ami et moi ; il a vu tout de suite que j’étais libre, l’indépendance ne se joue pas… Ce n’est pas ça, il a confiance en moi ; et d’ailleurs, s’il avait eu cette pensée, il ne serait pas venu me dire adieu. Pourquoi est-il venu chez moi, seul, et pourquoi ne m’a-t-il pas parlé de mon prochain retour à Paris, du désir qu’il aurait de m’y retrouver ? Quelle pâleur, quelle tristesse, et pourtant pas un mot de regret, de lointain espoir ! On m’a dit : M. de Villiers est là qui demande madame ; faut-il le renvoyer comme M. de Meilhan ? J’étais dans le jardin, je vais à sa rencontre. — Me permettez-vous, madame, me dit-il, de venir chercher vos commissions pour Paris, où je serai après-demain, et de vous faire mes adieux ? — Il y avait deux grands jours que je ne l’avais vu. Je ne m’attendais pas à cette visite, j’étais si troublée que je ne pouvais répondre. — On vous regrette beaucoup à Richeport, ajouta-t-il ; madame de Meilhan espère bien vous revoir ces jours-ci. — Je me suis hâtée de lui dire : — Je ne pourrai pas retourner chez elle, je suis moi-même obligée de partir bientôt. — Il n’a pas demandé : Où allez-vous ? Il m’a regardée d’un air étrange, presque soupçonneux ; puis, pour changer la conversation, il a dit : Nous avons vu à Richeport depuis