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pût partir ? C’était l’heure où Mae, dans son premier sommeil, subitement attristée, se lamentait. Des larmes coulèrent de ses paupières closes. Tous les soirs, à la même heure, ainsi que jaillit, bue aussitôt, une source d’eau pure au fond de l’Océan, naissait ce petit désespoir, larmes sans amertume, au milieu de la Nuit. J’étais penché un peu à l’écart, et mon ombre ne la couvrait pas, courbée sur le lit devant elle. C’était l’heure où sans conscience, elle s’attachait tendrement, et l’on sentait qu’en rêve elle aimait embrasser un visage. Rêve léger, mais plus lourd pour elle que sa vie, et, croyant se pincer pour être sûre de ne pas dormir, elle pinçait sans force ma main. Puis, toujours rêvant, comme une déesse enfant le ferait de sa main coupée, elle appuya ma main sur sa joue fraîche, elle la cacha dans ses cheveux blonds innombrables, elle l’embrassa. Puis, ouvrant sans chagrin ses yeux humides, elle choisit deux petits regards clairs qui se promenaient dans mes regards plus larges comme les rayons de deux visages jeunes dans le faisceau noir d’un film et, — j’aurais tout donné pour qu’elle me sourît, — fronçant de colère ses sourcils noirs, durcissant de rage ses yeux bleus, tendant son front irrité, Mae pour la première fois me sourit.

— C’est vous, me dit-elle, où est Lee ?

Elle parla plusieurs fois de Lee ce premier soir, à chacun de mes gestes comparant, rattachant les gestes de Lee ; sans doute pour qu’il n’y eût pas d’intervalle dans sa ronde d’amis, rattachant nos pensées et se trompant parfois, comme un