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deux corps errants ! Tout ce qui existe, tout ce qui palpite et respire de Mae est devant vous. Oh ! que m’arrive-t-il ? Avez-vous donc pensé mon nom ?

Je voulus parler de Mary Miles ; mourir par elle, lui donner la main dans cette ronde autour de Mae m’était doux. Mais Clyton disposait sur la table des portraits. C’était des photographies de moi, que je ne connaissais point, prises par lui à mon insu et sur toutes j’étais solitaire. Seul au milieu des rues toujours encombrées, seul au fond d’une auto qui roulait sans chauffeur, et Mae égoïste, pouvait sans peine imaginer que le monde est un grand monde vide et qu’elle seule a des amis. Mon sourire cependant annonçait parfois qu’il y avait un être vivant dans mon voisinage, pas un être semblable à nous sans doute, car j’avais les yeux levés, mais un chat, un écureuil, un titan. D’ailleurs, d’instinct, elle préféra le seul portrait que Clyton n’eût pas truqué, celui où j’étais vraiment seul, assis sur le perron du Polo-Club, un ours empaillé à ma droite avec des drapeaux dans son collier, où le vent soufflait, où les cèdres du bosquet étaient durement battus par les arbres encore sans feuillage, où, la petite girouette du Club l’indiquait, j’étais tourné vers mon pays, vers mon enfance ; où je souffrais enfin d’être arrivé à l’âge où l’on n’est plus que soi, rien que soi…

Or, décidé à ne pas me prêter au jeu puéril de Clyton, à guérir Mae, je résolus de lui apprendre ce qu’est la vie.