Page:Giraudoux - Amica America, 1918.djvu/127

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ordre de transport tous les Américains qu’on renvoie en Amérique, parce qu’ils sont malades, ou en disgrâce, ou en surnombre dans leur grade, et Français, Françaises sont vraiment hospitaliers, car ils les soignent comme on le fait ailleurs des Américains qui arrivent. M’écartant parfois de la grande ligne, j’arrivai par embranchement dans ces villages encore solitaires où notre intendance, comme un insecte pour ses futures larves, est allée déposer du maïs, des balles de coton, des farines d’avoine là où naîtront des régiments, des compagnies américaines, et je levais la tête des gamins qui déjà balbutiaient l’anglais. Parfois il y avait le feu, tous s’y précipitaient, les soldats combattaient l’incendie avec leurs mains, avec leurs haches, entourés des épouses, des enfants, des blessés, qui tous les encourageaient sans pitié pour les belles flammes, comme si c’était la guerre qui sortait là soudain et qu’il fallait étouffer.

Je ne vous dirai pas ce qu’est Paris. On a couvert avec des sacs de sable tout ce qui vaut, m’a-t-on dit, d’être admiré, et j’ai rencontré Mason, le professeur d’art à Albany, qui essayait de voir par les interstices. Privé de toutes ses beautés, Paris est la plus belle ville du monde ; je passe près de chaque amas de sac intimidé, comme en lisant le Chaucer où mon oncle puritain avait barré d’encre indélébile toutes les métaphores ; je passe près de la Danse, près de la Marseillaise voilées en détournant la tête, mais le cœur vers elles, comme près d’un charme, d’un attribut secret de Paris. Dans la rue des passants portent une poussière