Page:Giraudoux - Amica America, 1918.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
121

rue, mais, du débarras, en posant un tabouret sur une chaise et la chaise sur le fauteuil, par une lucarne on voit tout Paris. Elle me reçoit sans chagrin, sans prévenance. Rien en moi qui l’émeuve, qui l’attire. Ô légère Gladys, ô indécise et qui nous avez cru semblables, elle ne remarque pas que nous étions jumeaux, elle n’a vu dans Leslie que ce centième de corps, ce centième d’âme par quoi il différait de moi, elle ne l’a aimé que par ce qui toujours vous sera inconnu ; et j’ai enfin le sentiment, non pas qu’une part de mon être, mais un être entier avec Leslie est mort. Je lui prends la main, ma main tremble. J’éprouve toujours l’angoisse, près d’une femme d’un autre pays que le mien, de voir une femme d’un autre siècle. Je ne peux découvrir ce qu’il y a du présent dans Hélène, elle est du siècle passé, du siècle prochain. Je regarde ses yeux, mes yeux me piquent. Tout ce qui est sans couleur et terne dans la chambre devient étincelant dans ses prunelles, les rideaux sombres, les meubles sombres, et tout ce qui est éclatant y devient terne et voilé, des couverts d’argent, le soleil. Entre le soleil tout noir et un chapeau de deuil qui étincelle, je vois le visage de Leslie flotter, sourire. Je dis à Hélène que je suis fiancé, que vous vous appelez Gladys, que ma famille est la sienne, et Gladys égoïste sa sœur généreuse. J’engage pour cette orpheline nos biens et l’Amérique entière, et même ce qui nous appartient à peine, car je lui décris le Grand Canon, les Buildings, le parc de Yellowstone comme si je les lui offrais. J’insiste.

— Oui, répond-elle…