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— quel qu’il soit, on lui doit aujourd’hui ce triomphe, — pour aimer la France avec le plus de passion. C’est un colosse à front têtu, trapu : sous ma main son bras tremble. C’est un petit homme timide, bouleversé, qui doit prononcer un discours, que deux amis géants rattrapent comme il se dérobe, soulèvent, et m’apportent tout droit, pour ne pas troubler ses idées et ses mots, comme une bouteille de vieux whisky. C’est un avocat, un géographe, un professeur ; il voit la France comme la perfection de son métier, comme un discours sans paroles, comme un pays étendu sur quatre couches de même épaisseur, comme un enfant portant son âme. C’est un orfèvre : la France est un gros diamant, et son œil étincelle.

Nous montons. Les jeunes gens s’écartent, même de moi, qui ai leur âge, et la jeunesse chez un Français leur paraît une qualité antique et stable, comme chez d’autres la beauté, la bonté. Sur chaque marche le magnésium éclate, l’air américain grésille ou flambe sous ces premiers éclats de la guerre d’Europe. Les pères, les oncles touchent notre sabre, notre médaille, tout ce qui est de métal dans ces gens d’une autre planète, la main de fer du commandant, puis sa seconde main qui est de chair ; et leurs yeux se mouillent. Du premier, les vétérans en costume nous jettent des iris bleus ; — on croit là-bas que l’iris est notre fleur nationale, et les morts de l’Indépendance seuls nous ont offert ce matin au cimetière, sur leurs tombes, de vraies fleurs de lys ; les morts savent tout… Un iris atteint mon guide au visage.