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biais, sur l’Équateur lui-même. Voilà l’auteur célèbre de Jours paresseux en Patagonie, qui s’agite, enjambe des bancs, les renverse avec leurs dames. Voilà tous les enfants riches mal élevés — les autres sont couchés — qui regardent sans dire une parole, tout droits, sages, tendres. Voilà, — de quelle baie, de quel désespoir allemand s’échappe-t-il ? — un oiseau qui traverse la salle sans hésiter, d’un maître à un maître connu, et il effleure mon voisin qui en profite pour me dire :

— Je voudrais de petites Américaines crucifiées, de petits corps éteints dans des robes toutes fraîches. Leurs pères pacifistes les secouent, et enfin comprennent !

De tous côtés, écrites, orales, arrivent les questions, car chacun des plis, des numéros, des lisérés de nos vareuses est une énigme. On étudie notre uniforme, à nous sortis de la guerre, comme on étudia à Paris le visage du premier soldat sorti de la bataille. Jamais feuille cornée dans un livre n’intrigua plus que mon col rabattu, le seul de la mission : ai-je reçu une balle au cou ? Ai-je servi en Égypte ? Est-ce de la fantaisie ? Suis-je un fantaisiste ? Qu’ai-je sur moi qui soit allé à la guerre ? Mon briquet ? Tous lèvent la tête, éteignent leur cigare, et s’en allument un nouveau à cette balle allemande qui passe, apprivoisée. Voilà les délégués de la ville qui adopta Péronne ; ils ont des cartes de Péronne, des plans, des photographies ; mais ils voudraient savoir d’un Français même si leur filleule — tout d’ailleurs serait racheté par ses souffrances — était une ville aimée en