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France, ou détestée, ou seulement indifférente. Je les rassure ; bien que du Centre, j’adorais Péronne ; je croyais même que Jeanne Hachette y était née ; je le leur révèle ; — ils s’en vont heureux. Voilà les cent visages un peu tristes de ceux qui ont juré de ramener pour le dimanche un officier français à leurs femmes et à leurs enfants qui préparent déjà leurs meubles anciens et leur coq de bruyère apprivoisé, — mais déjà ils n’espèrent plus. Voilà, qui me sourit, le pasteur d’Amérique qui parle le mieux de la Mort. S’il parle de la Mort, ses paroles deviennent on ne sait quels papillons vivants, qui se posent sur les auditeurs mortels, non sur leur corps mais sur leur âme. On sent l’âme onduler, fléchir. Il va parler tout à l’heure, et vous aurez son discours. Il me fait des signes, qui se posent sur mes prunelles…

Le dîner s’achève. On distribue les éphémérides de la guerre que tous les membres du Club ont réclamés. Désormais ils sauront enfin à toute heure ce que les Français, tous ensemble, ont fait voilà juste un an, voilà deux ans. Mais déjà cela ne leur suffit plus : ils veulent apprendre ce qu’a fait chaque Français à chaque heure, ils interrogent chacun de nous, à brûle-pourpoint, comparant les réponses. Que faisions-nous le 3 avril, le 15 juin ? Parfois, sans qu’ils s’en doutent, ils atteignent un de ces jours sensibles que l’on tait, ils enfoncent dans notre cœur même, comme le douanier sa pointe dans la caisse où se cache un homme. Parfois un jour qui n’a pour anniversaire, dans ces trois années mêmes, que des jours de repos et de paix, et ils