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mot « jour », pris par hasard dans un tel triomphe. Les portes s’ouvrent, et un flot pressé bouscule les maîtres d’hôtel irlandais, fils et frères des agents, qui tentent par atavisme de résister. Les spectateurs du plafond, moins rigides, mieux équilibrés maintenant, se penchent, retenus dans le ciel par un ami qui se sacrifie et leur tient les pieds et ils battent l’un contre l’autre des bâtons de buis. Le Président comprend enfin son impuissance. Jamais ces vingt mille sentinelles ne le laisseront s’évader avec son mot ; et il fait signe qu’il renonce ; qu’il va recommencer, mais par une autre phrase. Méfiante, la foule se tait, reste debout. Il la flatte.

— Amis, mes chers et vrais amis…

Il est blême ; il hésite ; de pitié trois ou quatre vrais amis s’asseyent. Alors, il dit dans un langage entrecoupé à faux :

— Amis, ne — voyez-vous pas chaque — jour le visage de la — France devenir plus pâle ?

Tous trois, recevant cette phrase inattendue, nous avons pâli. Pas un regard qui ne se porte vers nous, puis par pudeur aussitôt ne nous laisse. Honteux de son délire, chacun à la dérobée regagne sa place. Les têtes aux nattes blondes s’inclinent, ferment les paupières, voient à l’intérieur sur leur fond bleu une France de taille humaine blêmir, mourir. Puis les yeux se lèvent et reviennent à nos visages. Sur nos visages où le sang monte peu à peu, les voilà roses, — les voilà, sous ces milliers de regards, tout rouges, — l’un d’eux écarlate. Alors les applaudissements reprennent, sans cris,