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doutait d’être assez solide pour résister au moindre heurt vivant, et, fragile, dès qu’il eût frôlé l’hôtel d’aujourd’hui, le petit hôtel d’autrefois pour toujours disparut de mon cœur et de mes yeux.

Nous avons poussé un cri ; nous sommes restés confondus : tous deux nous avions rajeuni. Elle prit ma main, m’approcha de la fenêtre, m’en retira, alluma le lustre au-dessus de ma tête comme si la lumière artificielle devait plus sûrement décomposer cette apparence. Mais c’était bien notre jeunesse. Elle était notre récompense de n’avoir jamais prononcé un de ces mots, fait un de ces gestes qui donnent l’âge. Nous étions plus libres, chacun avait trouvé son vrai costume et sa vraie forme, sa fortune ; nous étions plus forts ; devant elle, devant moi, comme voilà dix ans, chacun des monuments de Boston à la même distance, et la vie entière avec toutes ses cimes. Nous nous parlions, nous nous interrogions hypocritement pour voir duquel le premier jaillirait le goût ou le parfum de la vieillesse. En vain. Toutes les douleurs, toutes les joies que nous avions connues depuis mon départ étaient comprimées entre deux jeunesses égales… Mais c’est du Class Day que je dois vous parler, et non de Marie-Louise.

Son frère nous attendait dans la pelouse d’honneur où trois bassins de bois avaient été dressés, reliés par des tuyaux à mille fontaines, et, puisque c’était de jour, on obtenait par l’eau tous les dessins que chez nous, la nuit du 14 juillet, le gaz et le feu ont dû tracer. Toute la nuit les