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les garçons en Peaux-Rouges. Pensant que Nelson meurt et renaît chaque semaine, les marins nouaient à leur cou la cravate noire de sortie qu’on prescrivit jadis le jour de la mort de Nelson. Les sociétés secrètes arboraient des gilets lilas brodés de cornes en argent, des parapluies jonquille à raies roses, et tous les insignes du secret. Les musiques s’acheminaient vers les stades, chaque musicien a deux mètres de son voisin, confondant sans doute l’intervalle du son et celui de la pensée. C’était le week-end, on mobilisait pour le week-end, il n’y avait plus une minute à perdre.

Comme tous les samedis, on nous enlevait pour les parades, et les deux petits capitaines de l’école Lowell me conduisaient inspecter leur bataillon. Tout acte, aux États-Unis, toute pensée — comme un mot entre ses deux tirets, comme un oiseau entre deux flèches s’encadre entre deux courses en auto sur une route toute droite. Mes guides avaient seize ans et chacun me présentait l’autre. Aux arrêts le capitaine Mills me disait les qualités du capitaine Size, assis derrière nous, qui s’accoudait pendant la marche pour louer Mills ; ils semblaient parfois faire leur propre éloge, mais si dignement que cela même n’eût point choqué, et l’on ne pouvait avoir pour soi-même une plus raisonnable estime. Nous traversions Lexington, Arlington, tous les cercles de passé dont s’entoure Boston, les seules villes en Amérique où la première génération des choses d’Europe, les maisons semblables au Parthénon, les pommiers, les gazons, ait atteint la vieillesse. À gauche, au-dessus de