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Page:Giraudoux - Combat avec l’ange.djvu/24

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COMBAT AVEC L'ANGE

bond. Si, pendant qu’elle m’enjambait pour sortir du lit, j'avais dit un mot, un seul mot, peut-être fût-elle restée. Ou, pendant qu’elle faisait sa valise, si sur moi était apparue, même sans paroles, un peu de vraie douceur, de fausse douceur... Peut-être aussi si j’avais barré la porte, comme pour la biche, et lutté à bras le corps. Mais nous sommes toujours moins tendres pour un être humain que pour son symbole. Je m’étais écarté de la porte ouverte, et elle était partie par ce vide, non sans buter, car elle croyait cependant passer à travers moi.

Maintenant, il était neuf heures et je regagnais la Présidence du Conseil sans me hâter car le Président Brossard, dont j’étais le secrétaire, était pour quelques jours à Genève. Je ne vous dirai pas que mon nouvel état ne comportât pas un peu de mélancolie. J’eusse évidemment préféré n’avoir pas à détruire, à disperser ma vie pour me retrouver moi-même. J’aurais été plus satisfait de voir Annie, l’auto et le chien partir ensemble. Cette petite civilisation qu’était ma vie, qui avait coûté tant d’efforts, de paresses et de réussites, elle était ruinée moins par mon départ que par leur éparpillement. La couche de poussière qui allait tomber aujourd’hui sur mon appartement ne différait pas de la première couche qui recouvrit Ninive et Babylone, le lendemain de leur saccage. C’était l'enterrement