d’une de mes ères. Le départ d’Annie, c’était la redistribution des esclaves. Un remords déjà me venait. Un doute aussi. Je pensais à mes expériences, à mes libérations passées et j’en devenais plus modeste. Au fond, si j'y réfléchissais avec franchise, je devais m’avouer que mes préparatifs ne m’avaient jamais bien servi. C’était toujours au moment où je m'étais arrangé pour confondre ma destinée avec celle de ma génération, de mon pays, ou de mon siècle, que la destinée s’était plu à me ramener au comble ou au pire détail de mon existence individuelle. J’aurais dû penser, par exemple, à la guerre, à laquelle j’étais arrivé aussi vide et dénué de passé qu’Adam au Paradis terrestre, et dont tout le sens avait été perdu pour moi, à cause de cette paralysie qui avait frappé mon oncle une heure avant mon départ pour l’armée. J’avais juste eu le temps de relever une sorte de stèle vivante, privée de paroles et de mouvements, de la consolider, de maintenir une minute, de mes deux mains, sa tête droite pour qu’il pût me voir lui disant adieu, de passer cette tête à deux autres mains pour qu’il pût me voir franchissant la porte, et j’étais parti ! On est à peu près sûr qu'il n’entendait pas, qu’il ne comprenait pas, qu’il ne pouvait lire, et que c’est bien gratuitement que le curé vint chaque jour pendant quatre ans lui écrire le communiqué
Page:Giraudoux - Combat avec l’ange.djvu/25
Apparence
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
COMBAT AVEC L'ANGE