Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/115

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Il était né la nuit, — la nuit, où les rossignols chantent, où les étoiles veillent, où les joncs, sur l’étang, se balancent. Chaque nuit était pour lui un anniversaire. Jean fermait les yeux, et la voyait presque tout entière, la nuit.

Et il se demandait, déconcerté par l’indifférence de son ami, pour qui le retour des bœufs et le passage du père Bouvet avaient la même importance, comment pouvaient lui apparaître toutes ces choses qui lui étaient à lui si familières qu’il en ignorait au fond les couleurs. Qu’était pour le petit duc ce nouveau toit d’ardoise, ce coin de route goudronnée et ces abeilles sur ce lierre ? Imaginait-il que l’herbe, l’herbe des prés, fleurit ; que la source du ruisseau peut être proche, suintant des argiles éternelles ? Laverait-il ses mains dans l’eau des mares vertes, couleur de grenouille, où le cresson déteint, et les tendrait-il ensuite, toutes mouillées, à la pluie ? Se doute-t-il que les pics verts habitent ces ormes poilus et tordus qui se dressent tant bien que mal vers le soleil comme des chenilles chauffées vers des fleurs, et l’accompagnerait-il aux nids, aux noisettes, partout où il n’est pas allé, et où plane déjà, pour l’été prochain, son souvenir ?