Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/85

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On sentait qu’elle ne mentait pas ; j’aurais déjà deviné la vérité si je m’étais jamais posé la question. C’est d’abord, — tandis que les jeunes filles choisissent une partie de leur visage ou de leur corps et n’ont plus d’autre attention, — que Nini mettait son orgueil à ce que les regards coulent naturellement sur elle, sans y trouver d’obstacle ni d’appui. Si bien qu’on pensait à sa bouche, en voyant ses chevilles, à ses hanches, en voyant sa bouche. C’est aussi qu’elle n’avait plus l’entêtement de celles qui n’ont pas de secret : les jeunes filles croiraient qu’elles ont cédé tout entières en vous disant bonjour quand bonsoir leur passe par la tête, mais Nini vous accordait à votre guise qu’il faisait beau ou qu’il pleuvait.

L’abbé, déconcerté, cherchait une excuse, quand des sabots résonnèrent à l’intérieur sur le dallage du corridor. Il haussa la voix :

— Mademoiselle Estelle, cria-t-il, c’est moi, l’abbé Salomon !

Il le criait d’une voix joyeuse, car cela signifiait aussi : vous voyez qu’on n’a pas envoyé le doyen pour ne pas vous influencer. N’oubliez pas non plus que c’est moi qui m’en vais tous les jours prendre ma goutte de cassis avec vous. —