Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/95

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cœur, au lieu d’être boule, s’étale. Je m’appelle d’abord Agnès. Il n’y a pas une chose au monde qui ne me paraisse naturelle et bonne. Ne me demandez pas de vous embrasser, car je vous embrasserais. Et je possède aussi dix autres noms, qui tiennent au creux de mes mains, fermes et polis comme des billes d’agate, et je les laisse tomber un à un sur le ciment. Mais le fils Millet les ramasse et m’apostrophe.

— Petit, me crie-t-il, je bois à la santé de toutes les femmes présentes, futures et passées ! On peut dire d’elles tout ce qu’on voudra, mais c’est de l’ouvrage conditionné. Je bois aux blondes, je bois aux brunes, et je ne vois pas pourquoi nous ne trinquerions pas à ta tante Picard qui en valait deux à elle seule.

Je suis heureux qu’il ait oublié les rousses ; je bois, silencieux, à leurs nattes de sang oxygéné, à leurs visages toujours sans ombre, car il faudrait mettre un abat-jour entre leur front et leurs cheveux, je bois à les voir tordre leurs tresses, à l’aurore, et les brosser, s’inclinant pour que les taches de rousseur, au lieu de tomber sur leurs joues et sur leur poitrine, fondent dans le premier rayon… Je bois…