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Page:Giraudoux - Retour d’Alsace, août 1914.djvu/103

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RETOUR D’ALSACE

tandis que la route s’élève et abandonne les prairies. Le colonel, distrait, cherche en arrière un troisième bataillon, le bataillon rêveur.

Nous allons en France. On nous l’annonce, et les hommes ne s’en inquiètent point. Un départ a toujours le charme du départ. Suivant l’imagination des capitaines, nous allons garder la frontière italienne ; nous allons débarquer au Danemark ; nous rejoignons en Lorraine notre régiment d’active : ma compagnie se réjouit à l’idée de retrouver l’adjudant Orphalin que nous appelions l’Aigu et qui ne parlait que par nombres. La mauvaise humeur des officiers rassure tout le monde ; s’ils étaient ennuyés, ils s’occuperaient moins de nous. Le général continue à harceler le colonel et nous nous passons sa colère, par grades, avec l’impassibilité de boules d’ivoire. Nous montons tellement à pic que le ruisseau qui descend là-bas, avec des précautions, tout écumant, nous fait vraiment pitié ; sur notre droite, la vallée se gonfle ou s’étire ; parfois, sur notre gauche, un vallon, qui s’écoule par un ruisseau. Les montagnes émergent d’un coup, avec leurs sapins jusqu’à la base, d’une terre plate et végétale, et l’on sent sa masse qui se prolonge au-dessous. Menant vers une maison isolée, des sentiers blancs, creusés par le pas d’une seule famille ;