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RETOUR D’ALSACE

une buse qui plane désigne soudain aux dix mille hommes de la brigade un pauvre lapin modeste, qui se croit de tout ignoré. Sur des îlots de granit — mauvaise affaire pour les patrouilles — des châteaux écroulés, montrant aux artilleurs comment frappe le temps, d’un seul coup, au point faible de la voûte, et la ruine ainsi n’est pas gaspillée. Entre les ballons, un doux arceau de pentes, qui supportent la route comme des ressorts. Avec quelle douceur, lorsqu’elles étaient en fusion, les Vosges se sont rapprochées et jointes ! Les sapins sont plus beaux sur ces ponts. Autour de nous, l’Alsace s’abaisse, et les adjudants, qui ont le droit de se retourner le temps que dure le défilé de leur compagnie, tentent vainement de découvrir Thann, à la rigueur Urbès, dans les bourrelets. D’ici, on devine déjà mieux Strasbourg. Nous n’entrevoyons plus, du pays alsacien, que la plaine où nous avons à peine pénétré, une ligne brumeuse que les soldats, selon qu’ils sont chasseurs ou pêcheurs, appellent la forêt de la Harth ou le Rhin. La pluie cesse. L’état-major de la division nous dépasse, dans des automobiles, suivi de motocyclettes. Mais pas un seul soldat qui vienne vers nous, qui descende, comme le jour où nous allions à la bataille. C’est au silence que nous marchons aujourd’hui. Si le but de la guerre