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RETOUR D’ALSACE

de ficelles, et dont l’arme la plus parente est le boomerang. Sur les pansements abandonnés, un sang pâle, un sang de malade d’hôpital, le sang d’une race qui reste civile sous ses armes, dont la vie, dont la faim, dont la soif ne sont pas épurées par la guerre, qui continue à réclamer sa bière, ses saucisses chaudes, ses revues illustrées. Je sens déjà toute l’injustice de faire battre contre cette masse de civils les militaires français, avec leurs galons d’or ! Guerre vaine, où l’on ne capturera pas des chevau-légers bleus, des hussards blancs, mais, dans la même veste grise, des garçons de café, des peintres de Dresde qui découpent déjà en cubes la sentinelle berrichonne qui les conduit à l’arrière. Chacun de leurs emplacements de mitrailleuses a la largeur d’un Bechstein, pour qu’on y chante le Schumann pendant le repos.

Ce faux vide surtout nous irrite. Dans les caves, dans les granges de villages voilà deux heures combles d’Allemands, pas un ennemi qui n’ait eu le temps de se transformer. Des gens, sortis d’un demi-sommeil, nous parlent en demi-français. La douzaine d’otages est prête : il y en a même treize. Rien que les domestiques stylés de la guerre et tout enfant qui crie quand le canon tonne est giflé. Les meubles seuls, couverts d’inscriptions, à la berlinoise, essayent de se sauver