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Page:Giraudoux - Retour d’Alsace, août 1914.djvu/16

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RETOUR D’ALSACE

son blaireau, son rasoir, et lui n’a guère qu’à regarder, mais enfin on se rase chez un coiffeur. Bu aussi chez un restaurateur. Nous achetons le vin à des particuliers, mais nous tenons à le boire dans un café. Après ces quinze jours sans ville et sans bourg, chaque vitrine de boutique nous attire, comme si c’était l’hospitalité elle-même qui élargit ainsi les portes de la maison du pain, du vin, du chocolat. Les magasins d’ailleurs sont vides, nous y mangeons sur des tréteaux, interrompus par le bombardement de Burnhaupt-le-Haut, dont le clocher vacille et s’effondre. Celui de Burnhaupt-le-Bas, entre deux bosquets, semble remonter de quelques centimètres.

Nous commençons à être las de nous battre tout seuls. Impossible de voir un Allemand. Dans les tranchées de Saint-Cosme, dans celles de Bretten, pas d’autres traces, selon le régiment, que celles de la gemütlichkeit badoise, ou munichoise, ou saxonne, un harmonica, des vers de Gœthe sur les violettes au bas d’une carte postale, un dentier dans une boîte mauve, des objets aussi divers et aussi pacifiques que ceux qu’on trouve dans le métro. Pas de casques, de sabres, mais une valise, un catalogue d’appareils électriques. Ce sont des tranchées de commis-voyageurs. Des objets inconnus, chevilles roulées au tour, vis de buis au bout