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RETOUR D’ALSACE

voyons, de la route, que ce qu’on peut voir d’une tranchée, un talus, un parapet. Vers huit heures, la canonnade est si violente que la brume se lève. Le canon, sans doute, tenait encore du canon de paix, et, au lieu d’amener la pluie, éloignait les orages, la grêle. Dans chaque village, mes camarades, qui savent lire et reconnaître depuis Bellemagny le mot « Schule », s’intéressent exclusivement à la maison d’école : L’instituteur de Bellemagny élève des bassets ; la femme de l’instituteur de Bretten louche ; à Burnhaupt-le-Bas, le problème se pose de savoir si les sept enfants qui sont dans la cour, et qui se ressemblent, sont les fils du maître d’école ou ses élèves. Devaux, qui sait lire aussi le mot « Kloster », car il était de service au couvent, le cherche aux devantures. La guerre n’a pas encore détruit les vraies maisons, mais tout ce qui leur ressemblait en petit, les boîtes aux lettres, les cages à pigeon, y a passé. Une poupée allemande, un schutzmann, est pendue à un pignon. Bientôt on ne verra plus rien qui ne soit à l’échelle du soldat. Pas de fermes isolées, rien que des bourgs formés des maisons les plus dissemblables, qu’une lézarde de géraniums essaye en vain d’appareiller, et dont chacune doit correspondre, mais comment le deviner ? à un de ces prés, de ces champs, de ces vergers confondus