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RETOUR D’ALSACE

reculer jusqu’au fossé. C’est toujours deux mètres de sécurité en plus.

Il est huit heures. Le jour meurt sans avoir vieilli. Le crépuscule a partout la même transparence : on ne peut deviner de quel côté s’est couché le soleil, et l’armée française, qui sait si mal s’orienter, n’en a point ce soir de désavantage. Toutes les étoiles aussi, également claires et mortes, font penser au Nord, à minuit… La nuit se rapproche de nous, mais par derrière, comme de ceux qui la défendent. Plus d’ombres ; elles sont déjà séparées de nous, comme si la bataille allait être grave, comme si les adjudants nous les avaient réclamées, tout à l’heure, avec les livrets matricules. Pas une étoile errante, le canon a secoué toute la journée du ciel ce qui n’y tenait qu’à peine, plus de constellations qui se balancent, mais des astres enfoncés jusqu’à la garde. On ne voit vraiment qu’eux ; malgré soi on les contemple, on lève vers eux un bras ou un regard engourdis, car le fusil est approvisionné et rend les mouvements plus lourds : on trouve parmi eux les initiales de son nom. On se tient debout malgré la fatigue, on fait malgré soi le beau pour ces mondes où tout l’intérêt doit se concentrer d’ailleurs, en ce moment, sur le cheval blanc d’Artaud ; on explique à Frobart la grande Ourse, qui ce soir