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RETOUR D’ALSACE

demandant où elles ont caché ces portraits. Devaux leur pose, sans malice, des questions alternativement menaçantes et affables : si l’empereur est bien paralytique général, quels sont leurs prénoms, comment finira la guerre, ce que veut dire le mot « gemütlich ». Elles ne répondent qu’aux questions affables, mais avec la crainte que les questions sacrilèges ont causée : elles s’appellent, tremblantes, Elsa et Johanna ; gemütlich veut dire : « quand tout est bien, quand tout est gai. »

« Hier ist es gemütlich », dit Devaux, pour trouver un exemple.

Ya, répondent-elles, ya.

Quand on agite le mot gemütlich aux yeux d’une Allemande, elle répond toujours par ces joyeux aboiements.

À midi, ordre de libérer les guides. Le conseiller municipal s’en va en courant par un raccourci, plus court, prétend-il, que la route droite. Je rejoins ma compagnie qui occupe la maison et le parc de Henner. Tous les hommes sont étendus dans le creux des pelouses, au pied de buissons, et dorment, sur le dos, sur le côté, les genoux pliés ou levés. Nous avons là tous les tableaux qu’eût peints Henner s’il n’y avait eu dans les bosquets que des soldats, et non des femmes rousses. Jalicot a visité le château ; il n’y a trouvé que deux