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RETOUR D’ALSACE

nute combien le sol conquis est profond. Nous marchions de son pas régulier, qu’il règle à sa montre ; dans cette avant-garde de calme où l’on ne connaît rien des bousculades et des galopades de l’arrière, nous parlions de la guerre, à laquelle il n’avait jamais cru et à laquelle il s’était pourtant préparé avec minutie depuis son enfance. Chaque année, il la jugeait plus impossible, et chaque année un instinct le poussait à acheter un album d’uniformes allemands, ou un couteau de guerre, ou un sifflet de campagne, un imperméable. Il ne lui manquait plus, au début d’août, qu’une ceinture pour l’or. Il avait l’or. Son instinct n’était en retard que d’une année. Pendant les huit jours d’attente à Roanne, je l’ai rencontré souvent à la bibliothèque des officiers, où il empruntait tous les livres de guerre : Foch, Langlois, Napoléon… Le jour du départ, le bibliothécaire a dû lui laisser les Commentaires, de même qu’il a dû laisser au lieutenant Bertet le Mariage de Chiffon. Toujours illuminé par ses lectures, il m’explique aujourd’hui notre manœuvre d’Enschingen. On devine qu’il porte en lui tous les plans des combats, d’échelle différente, moderne et ancienne, il compare notre mouvement, pour que je le comprenne bien, à la plus grande bataille du monde, à Austerlitz ; il m’explique Flaxlanden