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RETOUR D’ALSACE

gros réservistes évanouis sur la route de Vesoul ; — la pluie de Lure, qui a collé toutes nos cartes-lettres neuves et qui n’est pas encore séchée — les lignes de tramways, de chemins de fer se retirant peu à peu de nous comme se rétrécit un nerf coupé ; — tous les drapeaux alsaciens, blanc et rouge, du district d’Àltkirch, découverts chez un patriote par Poirier, qui crut avoir pris d’un coup cent drapeaux allemands ; tous les noms de Wissembourg, de Freschwiller, de Reischoffen, recouverts pour toujours dans notre mémoire par de petits noms simples et pacifiques : Saint-Cosme, Bellemagny, comme les stations du Métropolitain dont on change les noms prussiens ; — peut-être avons-nous fait notre devoir envers l’héroïsme, envers la guerre. Nous avons vu tout ce que nous attendions d’elle, un chasseur d’Afrique cassant du biscuit avec le pic d’un soldat du génie ; un zouave endormi sous un porche alsacien ; un général au galop saluant un général à pied ; à une table d’auberge, réunis, tous ces grades que nourrit en secret la paix et qui n’ont d’uniforme que quand la France se bat : un colonel de télégraphistes avec un colonel trésorier ; — confondus dans la plaine alsacienne ces vingt uniformes qui donnent vingt visages et vingt vertus au courage militaire, et qui mélangent d’un coup, dans