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Page:Giraudoux - Retour d’Alsace, août 1914.djvu/63

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RETOUR D’ALSACE

l’esprit du sergent rengagé qui sait les garnisons, toutes les sous-préfectures, y compris les algériennes ; chaque arme passant à l’autre arme son insigne, un chasseur à pied accoudé sur un canon, un fantassin sur un cheval blanc, un vieux landeau plein de cuirassiers, un bataillon d’infanterie manœuvrant aux trompettes, spectacles d’une ambiguïté plus aiguë pour nous que, pour un savant, Andromède en Bacchus, Hébé à cheval ; le suffixe « en Alsace » ajouté à toute pensée : « Je suis étendu en Alsace », « Je fais le résumé du jour en Alsace », à tout grade : « Je suis sergent en Alsace ! »… peut-être la paix pourrait-elle maintenant revenir ! Michal qui m’a rejoint, est lui-même plus calme et a signé, pour tout le soir, un armistice. Il me dit des paroles un peu incertaines, mais au fond qui veulent dire : — Si nous étions battus, nous serions des rares Français qui ont pénétré en Alsace. Assurés de la victoire, nous caressons égoïstement cet espoir de défaite. Nous éloignons le plus possible de la guerre notre bavardage ; nous parlons de l’Amérique, des îles de la Sonde, où il voudrait aller ; puis nous tenons à en écarter nos corps mêmes. Nous gagnons une prairie isolée, d’où l’on ne voit plus le chœur gothique de l’église, où nous jouissons d’une Alsace pure de nostalgie, de souvenirs,